L’Institut Marcel Rivière ou la mutualité dans le combat psychiatrique

Dans les années 1950, la Mutuelle générale de l’Education nationale (MGEN) se lance dans un nouveau combat médico-social, mais aussi culturel : celui de la prise en charge de la maladie psychiatrique et de la lutte contre la stigmatisation des malades mentaux. La rencontre des militants mutualistes avec un psychiatre visionnaire donnera bientôt naissance à un dispositif psychiatrique hors norme.

A l’aube des années 1950, lorsque la MGEN acquiert sa propriété de La Verrière, en Seine-et-Oise, l’idée d’investir le domaine psychiatrique n’est pas davantage dans les esprits de ses militants que des Français dans leur ensemble. Tous sont hantés par le fléau de la tuberculose, dont les ravages restent considérables. Initialement le projet mutualiste vise donc à construire un troisième sanatorium, complétant les deux établissements de Sainte-Feyre (Creuse) et Saint-Jean d’Aulps (Haute-Savoie) dont la mutuelle a hérité à sa fondation en 1946.

Mais la MGEN est rapidement amenée à modifier son programme face aux avertissements du ministère de la Santé publique, dont les statistiques révèlent un déclin sensible de la morbidité tuberculeuse, liée à la diffusion des antibiotiques. En parallèle, s’affirme une montée en puissance des troubles psychiatriques au sein de la population française. Ce constat coïncide avec les cris d’alarme des militants mutualistes de terrain sur la détresse des adhérents internés en asile, où ils sont soumis à un enfermement de type carcéral.

Aussi la MGEN décide-t-elle de s’orienter vers la psychiatrie, en faisant appel à un praticien novateur, dont les méthodes inédites en ont fait un pionnier de la psychiatrie moderne : Paul Sivadon. Ce dernier appartient à une génération de psychiatres traumatisés par la mort de près de 45 000 malades mentaux dans les asiles psychiatriques durant la Seconde Guerre mondiale, en raison des conditions de vie dramatiques qui leur sont alors imposées[1]. En accord avec quelques confrères, il s’est engagé, depuis la Libération, dans un processus de réforme de la psychiatrie française, avec l’ambition de transformer l’asile de l’intérieur, en y développant des techniques thérapeutiques respectant la dignité des malades. Lorsque la MGEN le contacte, il a d’ailleurs déjà fait ses preuves à l’hôpital de Ville-Evrard (Seine-et-Oise), où il est parvenu à créer une structure expérimentale, le Centre de traitement et de réadaptation sociale (CTRS). Paul Sivadon est également expert pour le compte de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui le charge en 1956 d’une enquête internationale sur l’architecture psychiatrique, menée en collaboration avec un psychiatre et un architecte anglais : leur rapport pose les bases de l’hôpital psychiatrique modèle, qui deviendra la norme de l’OMS dans ce domaine.

Un dispositif avant-gardiste

De la rencontre entre les militants mutualistes et le psychiatre naît un projet de grande envergure destiné à concrétiser le rapport d’expertise réalisé par Paul Sivadon pour l’OMS. En découle la mise en œuvre d’un dispositif de psychiatrie sociale hors norme, dont le cœur est constitué par un hôpital, progressivement ouvert à partir de 1958 à La Verrière. L’établissement est conçu en rupture complète avec l’asile : en témoignent la suppression des principaux symboles asilaires – clés, serrures et blouses blanches –, ou la limitation de l’effectif à 300 patients, afin de sortir de l’encombrement de ces anciens établissements. Une place centrale est accordée à la conception architecturale, à qui revient une fonction thérapeutique : l’association de lignes et de courbes, et de petits et de grands espaces, est censée créer une alternance de lieux sécurisants et insécurisants favorisant le recouvrement des fonctions adaptatives du malade. L’hôpital est par ailleurs doté de riches infrastructures sociales et culturelles, parmi lesquelles un théâtre, ouvert aux populations des communes avoisinantes pour contribuer à l’intégration sociale des malades mentaux.

Aussi innovant soit-il, l’hôpital de La Verrière – rebaptisé Institut Marcel Rivière (IMR) à la mort du président fondateur de la MGEN en 1960 – n’est pas considéré comme une fin en soi, mais comme un élément au sein d’un dispositif plus vaste. Lui sont associés des hôpitaux de jour, qui font partie des premiers établissements de ce genre en France, à une époque où le simple fait de laisser sortir un malade mental de l’hôpital en soirée est loin d’aller de soi. D’abord expérimentées à Paris, les hôpitaux de jour sont ensuite diffusés en province à partir des années 1970, à Lyon, Grenoble, Rouen, Bordeaux, Toulouse et Lille. S’y ajoutent une clinique d’urgences psychiatriques, à Rueil-Malmaison, ainsi que des structures de réadaptation uniques en leur genre : l’atelier thérapeutique de réadaptation par le travail (ATRT), installé rue David d’Angers à Paris en 1961, puis le centre de réadaptation en 1972. Intégré à l’école de La Verrière, il permet aux enseignants hospitalisés à l’IMR, pendant leur congé de longue durée, de réaliser des stages pour se réaccoutumer à la fonction enseignante. Ce procédé inédit, en contradiction avec le code du travail, fait l’objet d’une convention avec le ministère de l’Education nationale permettant de lever l’interdiction de travailler pendant un congé maladie.

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Le dispositif psychiatrique mis en place par la MGEN est révélateur de l’engagement du mouvement mutualiste contre des tabous sociaux, et en faveur de populations marginalisées. En confiant à une équipe médicale innovante et militante les rênes d’un ensemble d’établissements expérimentaux, unanimement loués par la communauté scientifique internationale, la MGEN a contribué à faire évoluer la place des malades mentaux dans la société, et le regard que cette dernière leur porte[2].

 

[1] Isabelle von Bueltzingsloewen, L ‘hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux français sous l’Occupation, Paris, Champ Histoire, 2009.

[2] Charlotte Siney-Lange, A l’initiative sociale. Les grands combats de la MGEN, Paris, Presses du Chatelet, 2015.