Des bannières aux logos : rites et symbolique au fondement de l’identité mutualiste

Au-delà des valeurs et des principes de fonctionnement communs à l’économie sociale et solidaire, la construction de l’identité mutualiste passe par une symbolique visuelle issue de l’héritage solidaire transmis au mouvement à partir du XVIIIe siècle.

Apparues dans les années 1780, les sociétés de secours mutuels tirent leurs origines de groupements fraternels et solidaires beaucoup plus anciens – confréries, corporations et compagnonnage –, constitués au sein des communautés de métiers d’artisans du Moyen-Age. Si la mutualité a reçu de cet héritage une filiation solidaire depuis lors ininterrompue, cette parenté se manifeste également au travers d’éléments visuels dont on retrouve certains éléments dans d’autres groupements à vocation solidaire – les syndicats professionnels – ou spirituelle – la franc-maçonnerie. Sans qu’une relation organique ne puisse être établie avec ces organisations, cette symbolique commune est néanmoins révélatrice de leur enracinement dans un même terreau culturel.

La symbolique visuelle

Présente dans les dénominations des premiers groupements mutualistes, à l’instar des Amis de l’Humanité ou de la Parfaite Union, la thématique de la fraternité se révèle également dans l’iconographie mutualiste, qui reprend de nombreux codes de la culture médiévale : la poignée de main est à cet égard particulièrement révélatrice. Emblème de la solidarité de type chevaleresque et de « l’amour courtois » diffusé par la mode héraldique des XVIIe et XVIIIe siècles[1], la poignée de main est adoptée par les corporations en tant qu’expression de l’égalité et de la solidarité internes. Au XIXe siècle, elle s’impose comme le symbole par excellence de la solidarité mutualiste, associée à la devise « un pour tous, tous pour un », ou « aimons-nous, aidons-nous ». Dans certains cas, la présence d’une main masculine, incarnée par la manchette, recouvrant une main féminine identifiable par une manche bouffante, évoque la vertu protectrice attribuée à la mission solidaire. Cette allégorie, disparue des représentations mutualistes au XXe siècle, figure encore chez d’autres familles du mouvement social, notamment le syndicalisme.

© FNMF

Second élément visuel incontournable de la mutualité, la ruche puise ses racines dans une tradition complexe remontant aux allégories compagnonniques qui l’associent à la solidarité par le travail. L’abeille, animal solidaire et laborieux, fait référence aux interactions et aux échanges permanents en vue d’une production collective féconde. Sans être spécifique à la mutualité – emblème du pouvoir royal ou divin dans certaines civilisations, l’abeille est également adoptée par Napoléon Ier –, l’image de la ruche restera une constante du mouvement mutualiste, que l’on retrouve dans le logo actuel de la Mutualité française sous la forme de l’alvéole : symboles de la vie collective et solidaire d’une communauté, les alvéoles évoquent le rassemblement, au sein de la Fédération nationale, d’une grande variété d’acteurs mutualistes, autour de valeurs et de principes communs.

© FNMF

 

Les arbres de la mutualité

A la poignée de main et à la ruche, qui incarnent les valeurs mutualistes de solidarité et de prévoyance, s’ajoutent d’autres éléments qui enrichissent ce corpus culturel, à l’image de la plantation d’arbre. Inaugurée par l’union départementale mutualiste de la Loire à Montbrison en 1903, la pratique se diffuse dans toute la France dans les années suivantes ; en 1905, dans la Drôme, c’est le président de la République Emile Loubet qui vient lui-même procéder à la plantati on en tant que président de la société de Montbéliard. La même année, un orme mutualiste est planté au square du Champ de Mars, à Paris. Inscrite dans les festivités mutualistes, particulièrement dynamiques à la Belle Epoque, la plantation d’arbre renvoie à une double tradition : les Arbres de mai, issus des corporations d’Ancien régime, et les arbres de la liberté de la Révolution française. Quelle qu’en soit l’origine, l’arbre manifeste « la confiance en l’avenir », en portant « les fleurs et les fruits des espérances mutualistes ». Son tronc et les ramifications de ses branches traduisent quant à eux « la force unificatrice du mouvement et la richesse de sa diversité »[2].

© FNMI, JC

 

Les bannières

Ces codes visuels sont portés par les bannières mutualistes, véritables « carte[s] d’identité collective » de chaque société, qui représentent un puissant facteur d’identification dans l’espace public. Une fois de plus, cette tradition n’est pas propre au mouvement mutualiste. Elle fait écho à différentes filiations culturelles, et en premier lieu aux pratiques seigneuriales de l’Ancien régime, bientôt reprises par l’Eglise, les milices communales, les confréries et les corporations, pour qui elle constitue un moyen efficace de reconnaissance. « Reflet d’une époque où la rue permet de s’exprimer et de s’informer », la bannière s’impose par ailleurs comme un « vecteur de l’élaboration d’une conscience mutualiste »[3]. La laïcisation progressive du mouvement se révèle au travers de l’évolution de l’iconographie, et de la disparition de la figure du saint-patron, très présente dans les premières bannières. A l’instar de la poignée de main, l’usage des bannières s’essouffle à partir de l’entre-deux-guerres ; pour autant, ces objets restent considérés comme un précieux patrimoine par de nombreux groupements mutualistes.

© FNMF

 

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La symbolique mutualiste, élaborée au fur et à mesure de la construction de l’identité du mouvement, s’inspire de nombreuses références culturelles dans lesquelles ont baigné les sociétés de secours mutuels depuis leur émergence à la fin du XVIIIe siècle. Si beaucoup de ces allégories ont aujourd’hui disparu, la présence de la ruche dans le logo mutualiste signe la perpétuation d’une tradition solidaire millénaire.

 

 

[1] « Les bannières », Musée virtuel de la Mutualité [en ligne]

[2] « Les arbres de la mutualité », Musée virtuel de la mutualité [en ligne]

[3] Ibid.