Les Trente Glorieuses de la Mutualité (1950-1975)

Deux ans après la création de la Sécurité sociale, la mutualité s’engage dans un processus de redynamisation de ses bases et de son fonctionnement. En avril 1947, sa participation aux élections aux caisses de Sécurité sociale se solde par un échec relatif : si son score, de 9 %, paraît modeste en comparaison de ceux de la CGT (60 % des voix) et de la CFTC (26 %), le mouvement parvient néanmoins à se faire une place dans les rangs des conseils d’administration et à obtenir une représentation sur le terrain de l’entreprise, qui lui est relativement étranger.

© FNMF

L’année suivante, le congrès d’Aix-les-Bains est encore placé sous le signe de l’inquiétude, comme en atteste sa thématique : « la Mutualité a-t-elle un avenir, et le maintien de son existence est-il compatible avec une application de plus en plus généralisée et de plus en plus complète de ses propres buts par des organismes issus des lois sociales obligatoires ? » Mais la conclusion retenue, empreinte d’optimisme face aux nombreux champs d’action laissés en marge du système obligatoire, laisse présager un nouveau départ pour le mouvement. En parallèle, l’émergence d’un courant rénovateur porté par des familles mutualistes jeunes et dynamiques – caisses chirurgicales, mutuelles d’entreprise et mutuelles de fonctionnaires – apporte un souffle nouveau et favorise la construction de rapports constructifs avec la Sécurité sociale ; en témoigne l’élection à la présidence de la FNMF de Jack Senet, issu de la mutualité des fonctionnaires, en 1950.

Vers un couple Mutualité / Sécurité sociale

Le renouvellement de la mutualité passe en premier lieu par son rapprochement avec la Sécurité sociale. Affirmée lors des congrès de Marseille en 1954 et de Nice en 1957, cette « authentique collaboration » met fin à la réaction première d’hostilité des mutualistes, qui opèrent un retournement complet en se posant comme les principaux alliés de la Sécurité sociale. A plusieurs reprises, la mutualité se mobilise en faveur d’une protection sociale du plus haut niveau possible.

C’est le cas en 1964 contre le projet de loi Grandval qui prévoit d’interdire aux sociétés mutualistes de faire l’avance du ticket modérateur, tout en proscrivant la délivrance de produits non remboursés par la Sécurité sociale aux centres d’optique et aux pharmacies mutualistes. Face à ce qu’elle considère comme une entrave aux libertés mutualistes, la FNMF entreprend une campagne de presse et un appel à l’opinion publique. Pour la première fois de son histoire, la mutualité reprend à son compte des procédés propres au syndicalisme – tracts, manifestations, interventions auprès des parlementaires – avec lequel sont menées des actions communes : à Paris, le meeting de protestation organisé conjointement par la Fédération mutualiste de la Seine et l’Union des mutuelles ouvrières de région parisienne réunit l’ensemble des centrales syndicales. Devant cette mobilisation sans précédent, le projet Grandval, déclaré illégal par le Conseil d’Etat, est abandonné.

Ce scénario ne tarde pas à se reproduire : trois ans plus tard, en août 1967, les ordonnances Jeanneney qui réforment en profondeur la Sécurité sociale sont à l’origine d’un vaste front de protestation autour des organisations mutualistes et syndicales. Des mesures telles que la suppression des élections des administrateurs des caisses de Sécurité sociale, l’instauration d’une parité entre patronat et syndicat, l’augmentation du ticket modérateur et l’éclatement de la caisse nationale en trois caisses (maladie, vieillesse et famille) provoquent l’indignation de la mutualité. Si le mouvement ne parvient pas à venir à bout des ordonnances, qui sont maintenues, il fait néanmoins de la mutualité le principal rempart d’un système de protection sociale porté à son plus haut niveau.

Sortir de l’isolement

Au-delà des vastes rassemblements qu’elles suscitent, la défense de la Sécurité sociale est également l’occasion pour la mutualité de se rapprocher d’acteurs avec lesquelles elle entretenait pour l’heure des relations distantes : en 1970, le congrès mutualiste de Grenoble insiste sur le caractère vital d’un dialogue avec les syndicats, afin de faire barrage aux compagnies d’assurance qui commencent à pénétrer le « marché » de la complémentaire santé. La décennie 1970 est ainsi jalonnée de déclarations communes entre la FNMF et les différentes centrales syndicales : CGT le 19 janvier 1971, CGT-FO le 2 février 1972, CFTC le 22 mars 1972 et CFDT le 27 mars 1973, dans laquelle « la CFDT et la FNMF conviennent d’unir leurs efforts contre la concurrence du secteur du profit en matière sociale ».

Revue de la Mutualité n° 69, avril 1973

S’y ajoutent des campagnes menées conjointement contre les mesures d’austérité qui touchent la protection sociale, comme en juillet 1974, avec une plateforme commune signée par l’ensemble des organisations du mouvement social. Moins de quatre ans plus tard, le 20 février 1978, un accord est passé entre la CGT, CGT-FO, la CFDT, la FEN, la CFTC, la FNMF et la FNMT pour « la défense de la gestion de la prévoyance par le secteur non lucratif ». La FNMF s’engage aussi dans le processus de rapprochement avec les organisations coopératives et associatives, qui donnera bientôt naissance au mouvement de l’Economie sociale.

La rénovation doctrinale

Parallèlement à l’affirmation de la mutualité comme un acteur social de premier plan, les années 1960 et 1970 se caractérisent par un réajustement de concepts établis depuis plus d’un siècle, devenus périmés. Sous l’impulsion des pôles mutualistes rénovateurs – mutuelles de fonctionnaires, d’entreprise et interprofessionnelles –, la doctrine mutualiste est modernisée et adaptée aux évolutions sociétales. Deux temps forts marquent cette évolution : le congrès de 1964 à Bordeaux, au cours duquel la FNMF reconnaît officiellement la mutualité d’entreprise, et celui de 1967 à Saint-Malo, qui abandonne la valeur de neutralité au profit de l’indépendance, à la double portée, à la fois interne, par le respect de l’indépendance de chaque groupement mutualiste, et externe, en affirmant sa volonté de conserver son libre-arbitre face à d’autres acteurs, politiques, économiques ou sociaux.

De nouvelles formes d’intervention adaptées à une société en profonde évolution

Les Trente Glorieuses se caractérisent aussi par la diversification des activités mutualistes qui offrent un panel de garanties de plus en plus vaste.

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Outre l’essor des mutuelles d’assurance, telles la Mutuelle assurance des artisans de France (MAAF), la Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF) ou la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (MATMUT), qui se construisent sur le modèle de la Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) et de la Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF) apparues dans les années 1930, l’action médico-sociale mutualiste se développe au travers d’établissements et de services de plus en plus nombreux et innovants : pharmacies, centres d’optique, centres de santé (lien chronique centres de santé), cliniques chirurgicales, centres de convalescence, mais aussi crèches, établissements pour personnes âgées ou handicapées, services de soins et d’aide à domicile. En 1967, le congrès de Saint-Malo fixe trois axes prioritaires dans ce domaine : le troisième âge, le handicap et le secteur des loisirs vacances, par la promotion d’œuvres de vacances et de tourisme social.

Pharmacie mutualiste de l’Union du Rhône,© FNMF

Pour contrecarrer la concurrence croissante des compagnies d’assurance, est également promue une offre de prévoyance de plus en plus complète, avec la création de la Société nationale de prévoyance en 1967, suivie de Mutualité expansion (Mutex) en 1972, qui propose des garanties retraite, décès, accidents et invalidité.

De la Libération aux années 1970, la mutualité connaît une période de modernisation inédite, au terme de laquelle elle se positionne comme un véritable acteur social, engagé dans le débat public. Mais surgissent alors les premières difficultés liées au changement de contexte économique et au déclenchement de la crise, aux retombées décisives sur la protection sociale.