Jack Senet et l’affirmation des mutuelles de fonctionnaires

A la Libération, tandis que les dirigeants de la Mutualité française vivent avec douleur la naissance de la Sécurité sociale qui signe la perte de leur position centrale dans la gestion du régime obligatoire, les mutuelles de fonctionnaires entament un large processus de rassemblement. Impulsé par plusieurs militants, et notamment par Jack Senet, ce mouvement leur permet bientôt, et pour de longues décennies, de s’imposer comme un pôle majeur de la vie mutualiste.

La fonction publique fait, à n’en pas douter, partie des bastions historiques de la mutualité. Apparus dès les années 1830 – en 1834, en Gironde, chez les instituteurs, et en 1842 pour la société Union fraternelle des facteurs et employés des PTT –, les groupements mutualistes des fonctionnaires se consolident nettement sous le Second Empire : en 1870, un tiers des enseignants adhère à une société de secours mutuels. La stabilité de l’emploi, associée à un niveau d’instruction propice à la diffusion des notions d’épargne et de prévoyance, représentent de puissants atouts pour la mutualité, qui s’enracine ainsi durablement parmi les agents de l’Etat.

Dynamiques, les fonctionnaires mutualistes font par ailleurs montre d’un esprit précurseur : en témoigne la création, en 1901, de l’Union nationale des sociétés de secours mutuels d’instituteurs et d’institutrices de France et des colonies. Un an avant la FNMF, « l’Union des sana », telle qu’elle est surnommée, réunit une grande majorité des sociétés de secours mutuels d’instituteurs afin d’organiser la lutte antituberculeuse au profit des enseignants. L’année suivante, la société postale Union et Fraternité offre une protection complète aux ambulants, leurs veuves et leurs orphelins, intégrant prévention et accompagnement dans la maladie.

Cette tradition solidaire et innovante est stimulée par différents facteurs. En premier lieu, le refus par l’Etat de reconnaître aux fonctionnaires le droit de syndicalisation en 1884 – ils ne l’obtiendront formellement qu’en 1946 – conduit indirectement au renforcement de structures mutualistes. Par ailleurs, en 1930, les fonctionnaires se voient exclus des Assurances sociales : au-delà de l’amertume qu’elle suscite parmi les intéressés, cette mise à l’écart du système obligatoire entraîne un affermissement des groupements mutualistes dans la fonction publique. Cet encouragement de l’Etat ne sera pas démenti sous l’Occupation. Vichy incite à la création d’une mutuelle unique dans chaque administration « comme substitut de leur exclusion des Assurances sociales depuis 1930 »[1] : la loi du 19 août 1943 relative à la politique sociale de l’Etat en faveur de son personnel prévoit une subvention pour les organismes mutualistes équivalant à la moitié des cotisations versées par les adhérents. Indépendamment des arrière-pensées de Pétain, et d’une volonté certaine de contrôler le mouvement mutualiste chez les agents de l’Etat, la mesure contribue à la dynamisation des mutuelles de la fonction publique[2].

Jack Senet, pilier de la mutualité de la fonction publique

Fils de facteur, Léon dit Jack Senet (1893-1967) fait lui-même toute sa carrière dans les PTT en tant que postier ambulant, jusqu’à sa retraite en 1945. Il milite à la fois dans le syndicalisme et dans le mutualisme au sein de l’Association amicale de PTT, dont il devient administrateur en 1920, puis président en 1938. Dès lors, Senet prend une part active au regroupement des forces mutualistes du monde postal, qui progresse sensiblement à partir des années 1930 : en 1944, une trentaine de sociétés y sont encore présentes. Le processus est finalement concrétisé en juillet 1945 par la création de la Mutuelle générale des PTT (aujourd’hui MG). En parallèle, Jack Senet travaille au rassemblement des forces mutualistes des fonctionnaires : c’est chose faite en mai 1945 avec la naissance de la Fédération nationale des mutuelles de fonctionnaires et agents publics de l’Etat (FNMFAE), rebaptisée Mutualité fonction publique depuis 1988.

La FNMFAE, dont il est élu président, regroupe d’emblée 24 mutuelles représentatives de 14 ministères et de 400 000 sociétaires. Jack Senet s’engage alors dans plusieurs combats. Tout d’abord, pour la promotion d’une cotisation en pourcentage de traitement, qui s’oppose à la tradition séculaire de la cotisation égale pour tous, incarnée par le slogan « A cotisations égales, prestations égales » ; les mutuelles de fonctionnaires seront les premières à s’en affranchir. Il milite également pour la prise en charge de la couverture sociale des agents ministériels dans des sections mutualistes spéciales, et pour le développement d’un réseau de réalisations sanitaires et sociales qui deviendra une marque de reconnaissance de la mutualité de la fonction publique.

C’est aussi, et surtout, sous la houlette de leur puissante fédération, que les mutuelles de fonctionnaires obtiennent le droit de gérer le régime de Sécurité sociale de leurs agents : la loi du 9 avril 1947 vient en effet confirmer les positions acquises par la loi Morice quelques semaines plus tôt, en leur confiant la gestion de la protection sociale dans le cadre d'un système particulier intégré au régime général. Les fonctionnaires se démarqueront du reste de la mutualité, en demeurant les seuls à bénéficier de cette disposition. Comme ses consœurs, la MGPTT entre dans une phase de croissance ininterrompue, alliant couverture complémentaire, gestion du régime obligatoire et action sociale dynamique.

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En 1950, l’élection de Jack Senet à la présidence de la FNMF apparaît comme un nouveau symbole de la montée en puissance de la mutualité de la fonction publique, qui s’affirme comme un pôle de redynamisation de la mutualité. Sous sa présidence, assurée jusqu’à sa mort en 1967, Jack Senet n’a de cesse de travailler à la modernisation du mouvement, à son rapprochement des organisations syndicales et du monde du travail, et à son adaptation aux évolutions de la Sécurité sociale, et plus globalement de la société française.

 

[1] Bernard Gibaud, Fédérer autrement, Paris, Mutualité française, 2003.

[2] « Les mutuelles enseignantes (1918-1945) », in Musée de la mutualité [en ligne], www.musee.mutualite.fr.