La mutualité face au handicap mental : l’exemple de Montbard

Les années 1960 ouvrent une période de diversification des activités médico-sociales mutualistes et une orientation croissante vers le champ social. En 1967, le congrès de la FNMF tenu à Saint-Malo établit un programme d’actions prioritaire ciblant le domaine des loisirs-vacances, le troisième âge et le handicap. C’est dans ce cadre qu’est engagée la réalisation d’établissements innovants inaugurant de nouvelles modalités de prises en charge du handicap, à l’image du centre de Montbard.

De l’exclusion à la réinsertion professionnelle

Victimes, jusqu’aux années 1960 au moins, du poids du tabou du handicap, ceux que l’on appelait encore les « débiles » ou « arriérés mentaux » sont longtemps restés cantonnés à des mesures d’assistance, à l’instar de la loi de 1905 sur l’assistance aux vieillards, infirmes et incurables. Il faut attendre la Libération pour qu’une politique sociale de plus en plus complète s’y substitue, sous la pression des parents d’enfants handicapés réunis en associations qui revendiquent de nouveaux droits et la création de structures d’accueil. Plusieurs textes sont alors adoptés afin d’améliorer l’insertion socio-économique des handicapés, tels la loi Cordonnier (2 août 1949) sur l’accès à l’emploi et à la rééducation professionnelle et la loi du 23 novembre 1957 officialisant les notions de handicap et de travailleur handicapé.

Pour autant, rien n’est encore prévu quant à la prise en charge médico-sociale des handicapés, physiques et surtout mentaux, dont la stigmatisation demeure forte au sein de la société française : c’est donc sous l’impulsion des associations de parents, qui passent rapidement d’une mission revendicative à un rôle gestionnaire, que sont élaborées les premières structures d’accueil, Instituts médico-éducatifs (IME), Instituts médico-professionnels (IMPRO) et Centres d’aide par le travail (CAT1). En 1967, la publication de l’Étude du problème général de l’inadaptation des personnes handicapées, ou rapport Bloch-Lainé, marque un tournant, impulsant les prémices d’une politique publique du handicap qui conduira à l’adoption des deux lois fondatrices de 1975. En dépit des progrès qu’elles leur procurent, ces mesures sont néanmoins loin de permettre une réelle intégration sociale des personnes en situation de handicap.

Une nouvelle priorité mutualiste

Sans pouvoir se targuer d’une position de précurseur, le mouvement mutualiste aborde la question du handicap dès le milieu des années 1960, donc avant la parution du rapport Bloch-Lainé. Les premiers débats engagés en 1965 donnent lieu à la mise en place d’une commission technique spéciale. A ces réflexions au sommet, s’ajoutent des enquêtes de terrain, destinées à mieux cerner les problématiques et les besoins : au manque d’équipements et de services et au décalage entre les réalisations existantes et les besoins, se manifeste aussi une progression inédite de l’espérance de vie des personnes en situation de handicap, qui implique la mise en œuvre de structures médicalisées adaptées. La mutualité décide alors de se concentrer sur ces priorités, et en premier lieu sur les « débiles moyens et profonds semi-éducables » – selon la terminologie de l’époque.

Un investissement fédéral inédit

Dans ce cadre, pour la première fois de son existence, la FNMF s’investit dans la réalisation d’un établissement national afin « de montrer l’exemple »2. Le choix se porte sur un domaine situé à Montbard, en Côte d’Or. En 1973, avec le soutien des collectivités locales – la municipalité lui met à disposition le terrain, et la préfecture lui offre un soutien technique –, y est créé un CAT de 100 places à destination des « débiles profonds adultes semi-éducables ou inéducables privés de soutien de famille », autrement dit, des adultes profondément déficients, pour des séjours définitifs. Le centre de Montbard se présente comme « une expérience pilote » vouée à remédier à « une des plus graves lacunes de l’équipement sanitaire français ». Ce genre de réalisations est en effet relativement inédit à l’époque, et le droit au travail des handicapés, théoriquement reconnu par la loi de 1957, mal respecté : au début des années 1970, seuls 30 % de adultes handicapés bénéficient de structures d’accueil adaptées.

Il s’agit de favoriser l’insertion sociale et professionnelle dans « une véritable ambiance de vie familiale »3. Différents ateliers professionnels proposent une adaptation graduelle au travail protégé, à la production, puis au travail en entreprise classique ; ils s’inscrivent plus globalement dans un projet pédagogique, lié à la prise de conscience « des possibilités réelles d’évolution cachées par le handicap de la débilité profonde »4. Une attention particulière est également portée aux conditions d’accueil, conçues dans le but de renforcer l’autonomie des résidents : l’établissement, mixte, prend ainsi la forme d’un village de quatre bâtiments d’hébergement, disposant de chambres individuelles dotées d’infrastructures collectives – cafétéria, cuisine, salle à manger et équipements sportifs et culturels. Très vite, se révèle d’ailleurs « l’étonnante autonomie »5 acquise par une majorité de résidents, tant dans leur vie personnelle que professionnelle.

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L’initiative de la Fédération nationale, loin d’être isolée, est suivie par d’autres groupements mutualistes qui participent à cet effort pour renouveler la prise en charge, et du même coup le regard de la société sur le handicap : c’est le cas de la Fédération nationale des mutuelles de fonctionnaires et agents publics de l’Etat (FNMFAE6), de la MGEN et d’unions départementales, notamment en Côte d’Or. Cet engagement en faveur des personnes en situation de handicap reste aujourd’hui au cœur de l’activité mutualiste.

 

1 Aujourd’hui devenus Etablissements et services d’aide par le travail, ESAT.
2 « L’action en faveur des handicapés : voici les projets et les réalisations de la mutualité », Revue de la Mutualité n° 55, septembre 1969.
3 « Montbard, le pari », Revue de la Mutualité n° 62, juin 1971.
4 G. SOURP, « Montbard : 5 ans déjà », Revue de la Mutualité n° 91, octobre 1978.
5 « Un CAT en vacances », Revue de la Mutualité n° 79, octobre 1975.
6 Aujourd’hui Mutualité Fonction publique (MFP).