Faut-il interdire certains secteurs, tels que les Ehpad ou les crèches, aux entreprises privées à but lucratif ? Lors de la 3e édition du Sommet de la mesure d’impact, organisé au Conseil économique, social et environnemental (Cese) le 16 mai 2025, Eric Chenut s’est positionné en faveur d’un contrôle accru de la part des pouvoirs publics. Le président de la Mutualité Française a rappelé que la financiarisation de la santé nuit gravement au système de soins et à la cohésion sociale.
Parmi les rencontres au programme du 3e Sommet de la mesure d’impact, la table ronde « Ephad, hôpitaux, crèches : lucratif ou non lucratif ? », a relancé le débat sur la qualité des établissements dédiés au grand âge et à la petite enfance.
Spécialiste du sujet, le journaliste Victor Castanet, auteur des ouvrages Les fossoyeurs et Les ogres, a rappelé les dérives de certains acteurs privés lucratifs : utilisation de logiciels d’optimisation des coûts, réduction des effectifs au détriment du service, jusqu’au détournement d’argent public… Selon lui, des groupes privés intervenants dans le secteur des Ehpad ou des crèches ont terriblement nuit à l’image de ces secteurs.
Pour Luc Broussy, président de France Silver Eco, il faut modérer le propos : les opérateurs à caractère commercial sont-ils vraiment les plus mauvais ? « On ne peut pas faire de lien systématique entre le statut juridique et le niveau de qualité », explique-t-il. Même dans le secteur associatif ou l’ESS, on cherche à optimiser des budgets pour rester dans le positif. C’est plutôt dans la manière d’y arriver qu’il conseille de rester attentif.
Egalement présent à cet événement organisé au Cese, Eric Chenut a poursuivi : « Il y a toujours eu du lucratif dans le secteur de la santé et du médico-social. » Le président de la Mutualité Française souligne que le principal problème réside dans le manque de contrôle des revenus et dans le changement de nature de ces groupes. « Les acteurs privés lucratifs gagnaient de l’argent en soignant. Maintenant ils soignent pour gagner de l’argent », lance-t-il. A titre d’exemple, la privatisation de l’offre de soin sur la biologie médicale. Comment en est-on arrivé à un tel niveau de profits ? Eric Chenut invoque deux raisons : d’une part, les règles du jeu n’ont pas été posées pour encadrer les excédents de ces acteurs lucratifs et, d’autre part, il y a un déficit de l’investissement public au niveau national comme au niveau territorial. Ce manque d’investissement public a ouvert la porte aux acteurs privés pour pouvoir répondre aux besoins de la population.
En Espagne, 80% des Ehpad appartiennent à des groupes privés lucratifs et en Grande Bretagne, ce chiffre atteint près de 90 %, ont rappelé les participant lors des échanges. « C’est une conséquence d’un retrait assumé de la puissance publique », constate Luc Broussy. En France, seuls 23% des établissements pour personnes âgées dépendantes appartiennent à des groupes privés lucratifs (Rapport sénatorial de 2024). Même si la part du lucratif est moins importante que chez nos voisins européens, les pratiques commerciales agressives de certains acteurs ont un impact négatif pour tout le secteur.
Jean-Marc Borello, président du groupe SOS, appelle à travailler ensemble sur une logique au service de l’intérêt général et le droit de chacun à une fin de vie dans la dignité.
La réalité démographique nous rattrape. D’ici 2030, le nombre de personnes âgées va exploser et nous allons manquer de place dans les Ehpad. Des solutions alternatives émergent : les soins à domicile, les résidences seniors, les résidences service, etc. Mais lorsque la personne devient dépendante, les Ehpad sont souvent le seul relais. Nous avons besoin de tous les acteurs pour pallier cette réalité et répondre aux besoins sur l’ensemble du territoire.
Concernant le monde de la petite enfance, Victor Castanet alerte l’assistance : ses recherches démontrent que les pouvoirs publics, et notamment les collectivités locales, sont en partie responsables de l’abaissement des critères de qualité dans les offres de crèches collectives. Par manque de budget, certaines mairies optent souvent pour une offre de crèche moins chère, sacrifiant ainsi la sécurité, l’hygiène ou l’alimentation des tout-petits.
Alors, comment réguler l’apport du secteur privé pour qu’il soit positif ? Luc Broussy a tenu à rappeler que, malgré quelques affaires médiatiques, la qualité des Ehpad n’a cessé de s’améliorer ces dernières années. Les intervenants ont néanmoins plaidé pour plus de contraintes dans les critères d’attribution de l’agrément et le renforcement des contrôles. Un avis partagé par Jean-Marc Borello, « quel que soit le type d’opérateur », insiste-t-il. C’est l’intérêt du citoyen qui doit primer.
Pour Eric Chenut, les critères d’attribution des agréments doivent nécessairement prendre en compte les garanties dans l’égalité d’accès aux établissements, la qualité des soins prodigués et des conditions de travail, au-delà d’une logique de prix. Dès lors il convient de questionner le mode de sélection des opérateurs en privilégiant une contractualisation intégrant mieux ces critères non-financiers via des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) plutôt que des délégations de service public (DSP). Il conclut : « Il faut prioriser l’humain, plutôt que la privatisation des gains. »