Un combat mutualiste contre l’exclusion : le cas de Kerpape

Depuis son ouverture en 1918, le centre de Kerpape, créé à l’initiative de l’Union départementale du Morbihan au profit des enfants tuberculeux, n’a jamais rompu avec une tradition d’innovation dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap physique lourd.

Un enfantement dans la douleur

En juin 1914, au cours du congrès des mutualistes de l’ouest, l’union du Morbihan présente un projet de sanatorium pulmonaire pour enfants, structure qui fait alors défaut en France malgré les ravages provoqués par la tuberculose dans le monde entier. Contre toute attente, l’éclatement de la Grande Guerre, quelques semaines plus tard, ne remet pas en cause l’initiative des mutualistes bretons qui poursuivent activement leurs réflexions, en redéfinissant l’activité médicale vers la tuberculose extra-pulmonaire. A la suite de l’acquisition du terrain de Kerpape, à quelques kilomètres de Lorient, en 1917, les travaux sont entrepris au début de l’année suivante, ce qui permet d’accueillir les premiers enfants dès l’été. D’abord mis à la disposition de populations réfugiées du nord et de l’est, l’établissement recouvre sa vocation sanitaire en 1920 en accueillant de jeunes patients atteints de tuberculose ganglionnaire, osseuse ou articulaire. Inauguré en septembre en présence du ministère de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale, le sanatorium est installé dans des baraquements provisoires, qui ne seront remplacés par des bâtiments en dur que dix ans plus tard. Très vite, le nombre de pensionnaires, pris en charge par la communauté des sœurs de la Sagesse, s’y stabilise à un effectif de 220 à 250 enfants.

De l’essor … à la guerre

Après une « période de flottement »1 marquant les débuts de l’établissement qui souffre d’importantes difficultés financières, la situation se redresse à la fin des années 1920. Kerpape connaît dès lors un développement ininterrompu, dans sa fréquentation – 400 pensionnaires en 1927, 1200 en 1938 – comme dans sa réputation qui dépasse rapidement le cadre régional. Sous la direction d’un médecin chef et de deux internes, ses huit pavillons spécialisés sont dotés de galeries de cure et de services communs modernes – physiothérapie, gymnastique et natation. Le centre innove également dans l’encadrement pédagogique des malades, qui bénéficient de la présence de douze institutrices. Enfin, la cure sanatoriale est enrichie par l’implantation d’un préventorium à proximité, destiné à éloigner les enfants d’un foyer contagieux.

Mais cette ascension est stoppée par l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale qui touche de plein fouet l’établissement, situé à proximité d’une base maritime stratégique. Occupé par l’armée allemande, il est aussi la cible de nombreux bombardements qui l’anéantissent à 80 %. Dans ces conditions, les pensionnaires doivent être évacués vers un autre sanatorium à Lamotte-Beuvron (Loir-et-Cher). En dépit de l’insalubrité de ce refuge, les petits malades y resteront jusqu’en 1952, dans l’attente de la reconstruction du centre breton.

Vers un nouveau Kerpape

Au début des années 1950, tandis que débutent les réflexions sur la reconstruction de l’établissement, sont déjà envisagées des perspectives d’évolution plus radicales dans un contexte sanitaire profondément transformé : la diffusion des antibiotiques qui s’amorce est en effet en passe d’éradiquer la tuberculose. Cette évolution, peu perceptible à l’orée des années 1950, est néanmoins anticipée par les mutualistes morbihannais qui engagent une étude sur les possibilités de reconversion. Elle donne lieu à la construction d’un centre pilote dans le domaine de la réadaptation fonctionnelle, sociale et professionnelle des personnes handicapées, entamée en 1960. Au pavillon hospitalier pour enfants de 80 lits, doté d’un service scolaire adapté à des malades alités, s’ajoute la création d’un centre de rééducation et de réadaptation professionnelle de 300 lits. L’ensemble est équipé d’une piscine d’eau de mer chauffée, de douze salles de kinésithérapie, d’ergothérapie, d’un gymnase, d’une salle de sport, de services d’électrothérapie, d’électrodiagnostic, de radiologie et d’ateliers d’appareillage orthopédique. L’opération, dont le coût dépasse 8 millions de nouveaux francs, est financée par l’union mutualiste et par des subventions publiques, complétées par les indemnités de guerre.

Un fer de lance du combat mutualiste pour la réinsertion sociale des personnes en situation de handicap

Les aménagements du « nouveau Kerpape », inauguré en mai 1970, se prolongeront durant plus d’une décennie, faisant de cet établissement « un des meilleurs emblèmes de l’engagement des mutualistes du département »2. Dès lors, le centre fait figure de précurseur dans la réinsertion sociale et professionnelle des grands handicapés moteurs dans le cadre d’une « expérience unique en France ». Au-delà de la mise en œuvre d’ateliers professionnels adaptés, est prévu un accompagnement à la réinsertion professionnelle par le biais d’une association et d’une entreprise destinée à faire le lien avec les entrepreneurs extérieurs, et plus globalement, à renouveler le regard de la société sur le handicap. La seconde originalité de Kerpape tient dans la place accordée à la pratique sportive, considérée comme un facteur essentiel de réadaptation, fonctionnelle, sociale et psychologique, contribuant à redonner le goût de vivre à des patients lourdement atteints.

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Inaugurée en 1918, la tradition séculaire d’innovation dans le champ du handicap physique est aujourd’hui plus que jamais confirmée à Kerpape : en témoignent sa reconnaissance comme centre Expert par France Silver Economie en 2012 ou la mise en place du fonds de dotation pour accompagner l’innovation et la recherche en 2016. Plus récemment, Kerpape a été intégré, avec Lorient Agglomération et le pôle ID2Santé, au projet « Handicap innovation territoire » qui fait partie des lauréats de l’appel à projet national « Territoires d’innovation », avec l’ambition de faire du handicap un levier d’innovation sociale et technologique au service des citoyens.

 

1 M. Dreyfus, La mutualité dans le Morbihan. Cent ans d’engagement solidaire, Mutualité française Finistère-Morbihan, 2005.
2 M. Dreyfus, La mutualité dans le Morbihan (…), op. cit.