Santé mentale des jeunes Outre-mer : un défi à relever

Outre-mer, 39% des jeunes se disent en dépression indique l’enquête de la Mutualité Française, des Instituts Montaigne et Terram. Le mal-être est plus élevé qu’en métropole. Précarité, problèmes d’accès aux soins ou manque d’information : autant de difficultés qui aggravent la santé mentale des jeunes ultramarins. Focus sur les actions mutualistes de prévention menées en Guadeloupe et en Guyane.

En France, un jeune sur quatre (25 %) se déclare en dépression mais cette proportion atteint « un niveau alarmant » de 39 % dans les départements et régions d’Outre-mer (DROM). Cette fracture territoriale résulte de l’enquête « Santé mentale des jeunes de l’Hexagone aux Outre-mer. Cartographie des inégalités », publiée le 2 septembre 2025 par la Mutualité Française, avec l’Institut Montaigne et l’Institut Terram.

L’étude a été réalisée du 14 au 30 avril 2025 auprès de 5 633 jeunes de 15 à 29 ans, représentatifs de la population française (métropole et départements et régions d’Outre-mer). Dans chacun des DROM (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, Réunion), environ 120 jeunes ont été interrogés.

Guyane : plus d’un jeune sur deux en dépression

Plus précisément, la dépression atteint « plus d’un jeune sur deux en Guyane (52 %), 44 % en Martinique et 37% en Guadeloupe », détaille l’enquête. Ces résultats dépassent largement ceux des régions métropolitaines, dans lesquelles la dépression varie de 19% en Bourgogne-Franche-Comté à 28% en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Autre enseignement : près de la moitié des jeunes interrogés dans les DROM (47 %) déclarent n’avoir jamais ressenti le besoin de s’adresser à un professionnel de santé (psychologue, psychiatre, médecin généraliste, infirmier), contre 40% en moyenne. Ils ne sont que 30% à avoir parlé de leur santé mentale à un professionnel de santé, contre 38% en moyenne.

Un sujet encore tabou en Guadeloupe

Cindy Marival

« En Guadeloupe, évoquer un trouble de santé mentale est encore tabou et associé à la folie. Nous sommes sur une île, consulter un psychiatre peut être compliqué car tout se sait », explique Cindy Marival, chargée de prévention à la Mutualité Française Guadeloupe. « Le magico-religieux joue encore un rôle important dans la société guadeloupéenne. Certaines familles se tournent vers des guérisseurs traditionnels pensant que la personne est victime d’un sort ou d’une malédiction familiale », poursuit-elle.

« Pas assez de spécialistes en santé mentale »

Et quand ils osent exprimer leurs problèmes psychiques, les jeunes sont confrontés à des difficultés d’accès aux soins. « Il n’y a pas assez de spécialistes en santé mentale pour répondre aux besoins de la population. Nous manquons notamment de psychiatres et il faudrait plus d’équipes mobiles. Les Centres médico-psychologiques (CMP) sont débordés, déplore Nestor Bajot, président de la Mutualité Française Guadeloupe. Par ailleurs, il y a un manque de coordination entre les différents acteurs concernés : médecins, psychologues, urgentistes… »

Un avis partagé par Cindy Marival : « L’offre de soins est constituée essentiellement par des associations et par l’hôpital public, où le turn-over des professionnels de santé est important. » Elle rappelle cependant qu’il existe plusieurs dispositifs d’aide et d’écoute avec les équipes de l’Etablissement public de santé mentale (EPSM) via la Maison des adolescents, l’Équipe mobile adolescents (Emado), les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), la ligne d’écoute de l’association Amalgam Humanis. « Le numéro national prévention suicide, le 3114, permet aussi d’échanger, depuis février 2024, avec un interlocuteur qui parle français, créole, anglais et espagnol pour répondre à tous les guadeloupéens », ajoute Cindy Marival.

Sensibilisation des lycéens

Nestor Bajot

Pour déstigmatiser le sujet de la santé mentale, informer et mieux accompagner les jeunes, la Mutualité Française Guadeloupe a mis en place des actions de prévention au sein d’établissements scolaires, en partenariat avec des professionnels de santé. « Depuis deux ans, nous présentons le 3114 au lycée professionnel Ducharmoy, dans la ville de Saint-Claude, dans la région de Basse-Terre. En 2024 et 2025, nous avons informé près de 300 lycéens », note Nestor Bajot.

« Nous accompagnons aussi le lycée professionnel Augustin Arron de Baie-Mahault, au centre de la Guadeloupe, sur un projet innovant. Des ateliers de sophrologie sont proposés aux élèves et à l’ensemble de l’équipe pédagogique de l’établissement. Ces séances de relaxation leur permettent de mieux aborder les difficultés du quotidien. Ce projet a vocation à s’élargir à d’autres lycées », annonce Nestor Bajot, président de cette union régionale.

Enfin, la Mutualité Française Guadeloupe a émis des propositions aux pouvoirs publics lors d’un séminaire organisé par la Conférence de la santé et de l’autonomie qui s’est déroulée en mai 2025. « Nous espérons être pilote sur les actions de prévention destinées à la santé mentale des jeunes pour l’ensemble du territoire. Nous souhaitons qu’un véritable réseau soit mis en place pour mieux partager l’information, les outils et les ressources », escompte Nestor Bajot.

Pour lui, avoir un annuaire des contacts utiles et un référent clair sur la question du suicide permettrait de mieux orienter les patients. « Aujourd’hui, les actions sont trop dispersées et sans véritable plan d’ensemble avec une communication sur les dispositifs existants. Il faudrait une vraie concertation sur la santé mentale en Guadeloupe pour faire bouger les lignes ! », réclame Nestor Bajot.

« Un des plus grands déserts médicaux »

En Guyane, région la plus touchée par la dépression des jeunes, l’accès aux soins cristallise également les crispations.  « La Guyane est l’un des plus grands déserts médiaux de France et la psychiatrie est le parent pauvre. Avec sa situation géographique, le recrutement y est complexe, regrette Didier Dede, président de la Mutualité Française Guyane. Et au niveau des formations, les choses évoluent mais plus lentement que les besoins locaux. Par exemple, le regroupement hospitalier public est devenu centre universitaire en 2025 seulement ! »

Didier Dede
Ludmya Weishaupt

À cela s’ajoute un contexte socio-économique qui accroît les problématiques de santé mentale. « Nous avons la plus jeune population de France. Un habitant sur deux avait moins de 25 ans, selon l’enquête Insee de 2020, relève Ludmya Weishaupt, responsable de projets prévention dans cette union régionale. Les 18-25 ans sont particulièrement précaires : 30% n’étaient ni en formation ni salarié en 2023. Après Mayotte, la Guyane est la région française où le niveau de vie de la population est le plus faible. »

« L’emploi et les lieux de formations sont concentrés sur le littoral du territoire et en particulier sur son chef-lieu. Les infrastructures sont à développer. Et une partie de la population est particulièrement isolée, ne pouvant se déplacer que par la voie fluviale ou aérienne. Inactivité, chômage, insécurité, pauvreté précarisent et impactent la santé mentale », renchérit-elle.

Etudiants et jeunes en détention

Pour inverser cette tendance et améliorer la santé mentale, la Mutualité Française Guyane propose plusieurs ateliers, avec le soutien de l’Agence régionale de santé (ARS), l’Université de Guyane et le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). « Depuis 2020, nous organisons trois sessions par an sur la gestion du stress et le sommeil sur les campus de Cayenne, Kourou et prochainement à Saint Laurent du Maroni. Nous travaillons avec des infirmières, musicologues et des sophrologues », énumère Didier Dede

 « Nous faisons également la promotion du sport-santé auprès des étudiants et des jeunes en détention. Notre référent en activité physique adaptée (APA) donne des cours dans le quartier des mineurs de la prison de Rémire Montjoly, près de Cayenne, en partenariat avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous sommes partenaires de la Mission locale qui accompagne les jeunes dans leur réinsertion », poursuit-il.

L’ensemble des déterminants de santé ayant un impact sur la santé mentale, la Mutualité Française Guyane dispense aussi un programme nutrition-santé pour apprendre les bonnes pratiques alimentaires aux élèves de CE1 des zones d’éducation prioritaires. Cette action a pour objectif de lutter contre l’obésité, les produits transformés étant plus sucrés dans les DROM qu’en Hexagone. « Nous accompagnons ainsi 900 enfants par an dans le cadre d’un cycle de 5 ateliers comprenant des cours de cuisine, du sport et de la gestion des émotions avec une nutritionniste, des sophrologues et des éducateurs sportifs » explique Didier Dede. Ce programme est complété par « un café des parents » pour leur transmettre également les règles essentielles d’hygiène alimentaire.

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Auteur / Autrice : Lala Moulay